La première femme charpentière, au travail dans l'Allier, il y a 111 ans

Juliette Caron a été sous les feux de l’actualité en 1911, à Montluçon, sur le chantier des casernes, seule femme charpentière de France. Une série de cartes postales, à sa gloire, en témoigne.

La consultation des registres d'état civil de l'Oise, du Cher, mais aussi les recensements de population nous apportent les informations suivantes : née le 6 mai 1882 à Baron, à une dizaine de kilomètres de Senlis, dans l’Oise, Juliette Caron est une pupille de l’Etat. Elle épouse François Maillot en 1902 à Torteron, dans le Cher, ils habitent ensuite à La Guerche-sur-l’Aubois. En 1908, ils divorcent. En 1911, elle est remariée avec Alphonse Fleurier


Tirage moderne à partir du négatif original, 40 J
Tirage moderne à partir du négatif original, 40 J

Que faisait cette femme à Montluçon ? Une description nous en est donnée quelques années plus tard dans L’Action féministe : périodique mensuel du 1er juillet 1917 qui reprend manifestement un article plus ancien.

Montluçon, 1er avril. — On remarque actuellement ici une jeune femme charpentier qui provoque un vif mouvement de curiosité. Elle est âgée de 29 ans et originaire de Senlis (Oise). C'est une ancienne servante de ferme. Elle travaille avec son mari M. Fleurier sur les chantiers de construction des nouvelles casernes d'infanterie. Elle est vêtue d'un complet de velours. Elle est robuste et acharnée à la besogne.

Mme Fleurier exerce le métier de charpentier depuis 4 ans. Elle gagne de huit à 10 fr. par jour.

On raconte qu'à Avrilly, elle descendit la girouette du château près duquel tomba le dirigeable « République ».

Cette girouette était placée à 18 m. de hauteur.



La figure de Juliette Caron a été remise à l'honneur par Juliette Rennes lorsqu'elle a publié en 2013 Femmes en métiers d'hommes (cartes postales, 1890-1930). Une histoire visuelle du travail et du genre, Bleu Autour, Saint-Pourçain-sur-Sioule.

Ces cartes postales ont dû être largement diffusées, en de nombreux exemplaires et il est facile de nos jours d'en trouver en vente chez les marchands spécialisés. Ne négligeons pas le talent du photographe et éditeur, Joachim Case, d'origine italienne. En 1911, il est installé avenue de la Gare à Commentry. Ce personnage est encore moins connu que Juliette Caron et certaines de ces cartes postales, très atypiques, n'ont certainement pas été reniées par les surréalistes. Il fallait assurément être un photographe audacieux et curieux pour faire cette série de clichés et aussi prendre le risque économique de les publier.


Faut-il voir en Juliette Caron, un modèle, un précurseur, un symbole ?

Un petit dossier intitulé conservé dans les fonds de la Préfecture aux Archives départementales, sous la cote 1 M 681, apporte un éclairage très différent.

Entre novembre 1915 et janvier 1916, à Montluçon, Juliette Caron est surveillée par la Gendarmerie. En effet, elle a entretenu une correspondance avec un prisonnier allemand enfermé dans prison de la ville et de fait, elle loge à proximité immédiate de ce dépôt de prisonniers.

Le rapport d'un gendarme indique : " La femme Caron n'exerce aucune profession. Elle fréquente les militaires et elle se livre à la prostitution. Sa conduite et sa moralité sont très mauvaises. Au cours d'une perquistion que j'ai effectué chez elle le 12 novembre dernier, j'ai saisi la correspondance qu'elle avait échangée avec un prisonnier allemand (...)."

Un témoin raconte : "Pendant que la femme Caron a habité la maison, elle vivait en concubinage, tantôt avec des civils, tantôt avec des militaires. Elle recevait particulièrement de ces derniers chez elle jusqu'à une heure avancée de la nuit. Je ne l'ai jamais vu correspondre avec les prisonniers de guerre. Toutefois, elle aurait pu le faire sans que je m'en apercoive son jardin étant situé au pied de la tour du dépôt des prisonniers de guerre. Elle se livre à la prostitution et a une conduite et un moralités déplorables"

Juliette Caron, qui sait lire et écrire, se défend et la lettre du directeur de la Sûreté générale au Préfet de l'Allier en date du 22 janvier 1916 clot l'affaire : (...) j'ai l'honneur de vous faire connaître qu'il ne me parait pas possible de détenir administrativement la nommée Caron Juliette, ni de l'éloigner de Montluçon.

Chacun peut se faire son opinion et il est difficile, plus d'un siècle plus tard de porter un jugement définitif. Est-ce utile ? Autres temps, autres moeurs. 

A nouveau la recherche dans les registres d'état civil mais aussi sur les files de discussion sur internet nous apportent des informations biographiques : en 1926, Juliette Caron épouse en secondes noces (ou en troisième noces ?) Emile Marque à Dugny (département de la Seine, actuellement Seine-Saint-Denis). Elle est domiciliée au 115, route de Saint-Denis.

Le 3 juin 1940, à 58 ans, elle meurt lors de bombardements allemands à Bobigny et, comme victime civile, obtient la mention « Mort pour la France » en 1943. Elle est inscrite sur le monument aux morts de Dugny sous son nom d'épouse, "MARQUE Marie Juliette".

Juliette Caron a failli disparaître de nos mémoires, sous ses différents noms d'épouse, et ce sont de simples cartes postales qui lui ont apporté un peu d'immortalité.

Tirage moderne à partir du négatif original, 40 J
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