Les sceaux : des objets fragiles et précieux
L’inventaire des sceaux et cachets des Archives départementales de l’Allier est en cours. Il a débuté en 2022 avec quelques fonds de la série J (fonds de Rollat 84 J, fonds de Conny 1 J et fonds d'Esclaibes 23 J), et se poursuit par l’ensemble de la série G. Il s’étendra successivement à toutes les autres séries et sous-séries.
A part le sceau de Mathilde, dame de Bourbon (fin du XIIe siècle), et celui de Louis Ier, duc de Bourbon (XIVe siècle), les sceaux, signets, ou cachets conservés aux Archives départementales de l’Allier sont fort peu connus.
Pourtant, qu’ils soient intacts ou à l’état de vestiges, leur intérêt est réel.
Dans leur grande majorité, les sceaux ont disparu des actes. Ce n’est pas, comme ou pourrait le croire à première vue, parce qu’ils auraient été découpés par des collectionneurs peu scrupuleux, mais parce que, du fait de leur fragilité, ils sont tombés « en miettes », et continuent de le faire si des mesures de conservation adaptées ne sont pas prises. Ils sont majoritairement en cire d’abeille, et cette dernière se brise et se délite pour finalement disparaître.
Depuis toujours, on s’est évertué, bien souvent en vain, à remédier à cet état des choses. D’abord en choisissant un matériau plus solide. Le plomb des bulles papales, bien sûr, mais aussi des mélanges de cire et de fibres, de plâtre, etc. En les mettant dans des boîtes protectrices en métal, en papier. En les recouvrant de papier et en les y imprimant directement. Ce dernier procédé les protège, mais les rend en partie invisibles. Parfois ils se brisent dans le papier, et on ne peut lire qu’une empreinte floue. Parfois le papier a été arraché et le sceau apparaît intact, mais hélas voué à une destruction plus rapide. Une question se pose alors : comment conserver ces précieux vestiges ? Pour le moment, nous avons pris le parti de placer les plus menacés dans de petites enveloppes neutres. Les bris seront réunis ensemble, à défaut de se perdre dans les cartons d’archives au milieu des liasses et de finir en poussière.
Contrairement aux sceaux en cire d’abeille, les cachets de cire brillante utilisés durant tout l’Ancien Régime pour le scellement du courrier, bien que brisés à l’ouverture, sont solides. Les matériaux mis en œuvre sont différents et beaucoup plus résistants : gomme laque et térébenthine colorée au cinabre ou au noir de fumée. Il suffit donc de rejoindre les deux parties brisées pour obtenir l’empreinte complète. Cependant, posés à la va vite, certains sont parfois trop écrasés pour être lisibles.
Pertinence de l’étude de vestiges
Un premier regard pourrait faire penser que des vestiges de cire n’ont plus aucun intérêt. Cependant, en les juxtaposant, en les comparant, on parvient à reconstituer ou identifier un sceau disparu, et parfois inconnu.
Sceaux, contre-sceaux, signets ou cachets ?
Le sceau est le cachet qui authentifie un acte, et, par extension, l’empreinte de ce cachet, morceau de cire, de plomb, portant cette empreinte. Le contre-sceau est le revers du sceau. Il est généralement plus petit. Le signet est un sceau plaqué de dimensions restreintes, servant à « clore les lettres closes ou missives et aussi à garantir l’authenticité de certains actes… Les signets se multiplièrent lorsque l’usage du papier rendit impossible l’apposition des sceaux pendants. Pour les mieux fixer on obtenait une plus large surface d’adhérence en étalant la cire en forme de croix… » (A. Giry, Manuel de diplomatique, Paris, Hachette, 1894, p. 630) Le cachet est également un sceau beaucoup plus petit, appliqué sur le repli des lettres. Sous Louis XIV et Louis XV, « tous les nobles, et encore plus les prétendants à la noblesse, devenus très nombreux, s’en firent graver à leurs armes » (Lecoy de La Marche, Les sceaux, Paris, Maison Quantin, 1889, p. 287).
Parfois, la distinction est difficile à faire. Un sceau plus petit, plus ordinaire, peut faire office de contre-sceau. C’est pourquoi l’annonce du sceau dans l’acte est utile : elle donne le nom utilisé par le signataire pour désigner cet objet. Elle permet aussi d’identifier plus précisément le sceau : par exemple distinguer le sceau personnel d’un religieux de celui de son monastère.
Quelques signets médiévaux sont conservés, ou parfois simplement la trace en forme de croix, servant à mieux le fixer sur le parchemin. Ils ont la taille d’un chaton de bague. Il est d’ailleurs probable que ce dernier était l’objet employé pour sceller.
Les fonds d’archives conservent de nombreux cachets de cire rouge brillante, destinés à sceller les courriers, des XVIIe et XVIIIe siècles. Quand elle n’était pas pliée à plat, la lettre pouvait être roulée en tube et le cachet posé sur la tranche.
Formes et techniques de scellement
Les formes les plus courantes sont le rond, l’ovale, et le sceau en navette.
Sceaux plaqués sur le parchemin. Signet plaqués sur de la cire étalée en croix sur le parchemin. Simple queue de parchemin, double queue de parchemin, sceau sous parchemin ou papier, lacs de chanvre ou de soie colorés en rouge, vert, réutilisation de lacets de vêtement raffinés... Lorsque le sceau est pendant, il peut y avoir application ou non d’un contre-sceau.
Les différentes techniques de scellement dépendent souvent de l’importance de l’acte. Le type de scellement est donc une indication de cette importance. Ainsi, dans la chancellerie royale française, les sceaux de cire verte, pendants sur lacs de soie rouge et verte, caractérisent les actes à valeur perpétuelle.
Les différentes techniques de scellement dépendent souvent de l’importance de l’acte. Le type de scellement est donc une indication de cette importance. Ainsi, dans la chancellerie royale française, les sceaux de cire verte, pendants sur lacs de soie rouge et verte, caractérisent les actes à valeur perpétuelle.
Intérêt pour l’histoire et pour l’histoire de l’art
L’intérêt pour l’histoire est évident, le sceau faisant partie intégrale de l’acte et donnant des indications sur l’importance de celui-ci ainsi que sur le personnage sigillant.
De manière générale, l’acte étant précisément daté, le sceau donne un repère sûr pour l’histoire de l’art.
L’étude du costume d’après les sceaux permet une datation précise du costume médiéval, surtout noble, religieux et militaire. La présence d’une date prend vraiment ici toute son importance. L’ouvrage de référence de Germain Demay, Le costume au Moyen Age d’après les sceaux (Paris, Librairie de D. Dumoulin et Cie, 1880, 496 pp), est consacré à ce sujet. Les sceaux deviennent une aide pour dater manuscrits, sculptures et tableaux...
La représentation de certains monuments (les arcades [du cloître du palais archiépiscopal aujourd’hui disparu ?] de Bourges) renseigne sur leur importance emblématique et leur état à l’époque de l’acte, et peut enrichir une étude architecturale.
Les inscriptions diverses, qui entourent les sceaux ou en ornent le centre, donnent des indications sur la graphie, sur les devises et leur évolution, sur les cris d’arme des chevaliers, sur les titres des sigillants... (devise « Partout », sur le contre-sceau du duc Jean II de Bourbon, devise « Lillis.nititur.et.ense », [Il s'appuie sur les lys et l'épée], du monastère royal de saint Martin des Champs). On trouve par exemple des précisions sur les devises et les emblèmes utilisés à la date précise de l’acte, par le duc Jean II de Bourbon. Ce détail est particulièrement intéressant, car la fin du Moyen Age est caractérisée par une prolifération de devises et emblèmes, dont il est parfois très important de pouvoir dater précisément l’apparition.
Les armoiries identifiées sur les sceaux sont particulièrement utiles pour rattacher bâtiments et objets à leurs commanditaires et pour les dater précisément. Pour l’histoire des familles aussi, la connaissance des sceaux enrichit l’héraldique familiale de sceaux inconnus jusqu’alors. Des précisions peuvent également être apportées dans la description de certains sceaux.
Le style et la mode jouent aussi un rôle dans la conception des sceaux. Ceci est particulièrement visible au XIVe siècle, époque où les sceaux deviennent d’un grand raffinement, avec semis, fleurettes, quintefeuilles et arcatures gothiques. Cette esthétique correspond à celle que l’on retrouve dans les arts décoratifs (peintures murales), dans l’architecture (baies), dans les motifs des tissus (vêtements et ameublement) et dans l’illustration des premières pages de manuscrits (Roman de la Rose de Guillaume de Lorris). Un tel raffinement n’est pas sans lien avec l’époque terrible de la Guerre de Cent ans et de la Grande Peste Noire, période où la recherche des plaisirs et de la joie deviennent un dérivatif à la souffrance présente et à la fragilité de la vie humaine.
Enfin, l’étude des lacs contribue de manière non négligeable à la connaissance des textiles anciens (lacets de vêtement réutilisés, fils de soie teints et tressés, fils d’argent...). Les chercheurs spécialistes des tissus se disent très intéressés par toutes les informations que peuvent fournir les archives dans ce domaine, notamment en ce qui concerne le tissage aux tablettes. L’étude des lacs formera un inventaire à part entière ultérieurement, le travail entrepris se bornant pour l’instant à un repérage.
Sélection de sceaux, signets ou cachets
La présente exposition propose une sélection de sceaux, signets et cachets laïques et ecclésiastiques, afin d’en montrer l’intérêt et d’illustrer ce propos.