Autour de l’abbaye : marchés, foires et fêtes au Moyen Age

Une bourgeoise cossue du XVe siècle (stalles de Madeleine d’Amboise, 4ieme quart du XVe siècle). © M.-E. Bruel
Une bourgeoise cossue du XVe siècle (stalles de Madeleine d’Amboise, 4ieme quart du XVe siècle). © M.-E. Bruel
La Maison du Pèlerin, 4ieme quart du XVe siècle (Archives départementales de l'Allier, fonds Clément 9 J 33). © A. D. Allier
La Maison du Pèlerin, 4ieme quart du XVe siècle (Archives départementales de l'Allier, fonds Clément 9 J 33). © A. D. Allier
L’auberge de la Tête noire sur la place du bourg en 1815 (vue depuis le sud-est. Archives départementales de l’Allier, fonds Clément-Evêché, 75 J 172). © Evêché de Moulins
L’auberge de la Tête noire sur la place du bourg en 1815 (vue depuis le sud-est. Archives départementales de l’Allier, fonds Clément-Evêché, 75 J 172). © Evêché de Moulins

Au Moyen Age, l'abbaye est un important lieu de pèlerinage et s'entoure d'un bourg [1] cossu aux foires renommées. Signe visible de l’opulence de l’abbaye, elles se tenaient sur la place située contre le flanc nord de l’église. Elles étaient organisées au jour anniversaire de la mort des deux saints de la paroisse, Menou et Blaise, mais pas exclusivement : « et audit bourg y a cinq foires l’an qui s’y tiennent le jour et feste de Saint-Menoux [12 juillet] ; le jour Saint-Barthélemy [24 août] ; le jour Saint-Blaise [3 février ?] ; le mardi après la Pentecoste [fin avril, début mai] et le jour Saint-André [30 novembre] (Nicolas de Nicolay, Générale description du Bourbonnais, 1569, t. II p. 11) ». La Saint-Barthélemy, la Saint-André et la Pentecôte [2] sont des dates très souvent retenues pour les foires dans l’Occident médiéval. Barthélemy étant le patron de la puissante corporation des bouchers, on peut se demander si ce n’était pas la foire aux bestiaux de Saint-Menoux qui se tenait ce jour-là. Toutes ces manifestations devaient sans doute n’être que de simples foires rurales annuelles, « exclusivement vouées à l’écoulement des produits agricoles et à l’acquisition par les paysans des produits fabriqués à la ville [3] ». Elles ne duraient pas plus d’un jour. En 1400, la surveille de la Saint-Menou (le 10 juillet), le pont d’Allier à Moulins est remis en état en prévision du passage des foules se rendant au bourg pour la fête du saint. La recette spéciale provenant du droit dû pour le passage des ponts d’Allier durant trois jours à l’occasion de cette fête (la veille, le jour de la fête et le lendemain) est de 45 sols. Ces préparatifs laissent entrevoir l’importance de cette fête et les déplacements de population qu’elle occasionnait, déplacements motivés à la fois par les cérémonies religieuses, par les affaires du commerce et par les réjouissances liées à l’événement.


Au Moyen Age, les foires étaient un lieu d’échanges commerciaux, mais aussi de brassage des populations. Au XIIe siècle, les seigneurs de Bourbon favorisent le bon déroulement de ces manifestations en accordant à l’abbaye immunités [4] et franchises pour tout le bourg en 1125. Ces dernières, tout en augmentant le pouvoir et la puissance de l’abbaye, garantissaient la sécurité des acheteurs et des vendeurs et la loyauté des transactions commerciales effectuées. Toutes les exigences de sécurité étaient ainsi réunies pour la bonne tenue de ces rassemblements populaires. Autour du bourg, cinq croix (disparues) situées sur les principales voies d’accès marquaient le territoire concerné par ces franchises : c’étaient la croix au pont qui s’appelle Baterelli (Battereau), la croix au champ Cormaneri, la croix à l’orme de Retia, la croix posée à l’extrémité du pont qui est sur le fleuve appelé Roboris (la rivière de la Rose) et la croix à Sirredant, en la rive du fleuve Rose.

On retrouve dans le tissu urbain le souvenir de l’époque des foires de Saint-Menoux. Sur la place du bourg, l’emplacement de la foire aux bestiaux a été conservé. De vastes auberges pouvaient accueillir les foules venues se presser dans la liesse populaire : celle de la Tête noire (mentionnée dès 1656 mais probablement plus ancienne) donnait sur la place, et celle de l’Ecu (mentionnée dès 1554) accueillait les visiteurs sur la route de Moulins en arrivant au bourg. Si ces deux auberges ont été détruites, deux boutiques du XVe siècle ouvrant sur la place subsistent. Au rez-de-chaussée, la boutique proprement dite donnait sur la place, et on accédait par une ruelle arrière à l’entrepôt situé en contrebas. Un escalier de circulation interne desservait ces espaces et donnait accès aux logements des commerçants situés à l’étage. Une importance était accordée au bois (disparu) dans ces structures : partie haute d’une des tours d’escalier, baies de boutiques sur la place et auvent protégeant l’entrée des entrepôts sur la ruelle.

Dans le dernier tiers du XVe siècle, un tout nouveau relais de poste royal, à l'entrée vaste et spacieuse, aux appartements confortables et bien distribués, est bâti le long de la grande rue Saint-Germain à proximité du centre du bourg (numéro 7 actuel) . Ce beau logis est toujours connu sous le nom de "Maison du Pèlerin".

A partir de 1125, un marché se tenait également deux fois par semaine dans le bourg.

Texte d’illustration : Archambaud, sire de Bourbon, accorde à l’abbaye de Saint-Menoux immunités et franchises pour tout le bourg

« Au nom de Dieu, je, Ulgrin, par la miséricorde de Dieu, archevêque de Bourges, veux être gardé et retenu en la mémoire de tous fidèles tant présens que futurs, que Archimbault, prince de Bourbonnais, à notre prière et à la prière aussi de notre révérend frère Améric, évêque de Clermont, et d’autres vénérables personnes, ai donné et octroyé à l’abbesse de St.-Menoux et aux autres religieuses qui la secondent à servir Dieu, l’immunité, sûreté et franchise de tout leur bourg, et de toux ceux qui y demeureront, tant hommes que femmes.

En cette façon qu’aucune gens de justice ou autres, ne puissent faire aucune arrogance ou exécution audit bourg, ni faire prendre aucun homme dans les limites marquées par les cinq croix, dont une est posée à l’extrémité du pont qui est sur le fleuve appelé Roboris, l’autre au pont qui s’appelle Baterelli, la troisième à l’orme de Retia, la quatrième à Sirredant, en la rive du fleuve Rose, la cinquième au champ Cormaneri, et tout ce qui sera dans les limites, soit hommes libres ou cerfs, soit hommes ou femmes, seront paisibles et assurés, tant eux que leur chose, selon la coutume du bourg de Souvigny ; il a aussi octroyé que par chacune semaine à deux jours, le marché soit tenu au bourg de St.-Menoux, et tous ceux qui y viendront seront au sauf-conduit dudit Archimbault, et en la garde de Dieu, eux et leur chose, en allant, séjournant et retournant, pour quelque méfais qu’ils aient là fait… Le susdit Archimbault a fait ce don et concession pour le salut et rédemption de son ame et celles de ses devanciers, l’approuvant et consentant sa mère Lucia, et le conseillant ses barons… Or, nous, afin qu’il soit mémoire de ce don, et qu’à perpétuité il soit inviolable, ferme et stable, nous l’avons recommandé à la mémoire de tous les fidèles, à cet effet, l’avons muni de l’autorité de notre sceau. Fait à St-Menoux, le VI des nones de mars, l’an de l’incarnation de Notre Seigneur 1123 [plutôt 1125 selon M. Fazy], indiction 10e. régnant en France le roi Louis VI. » (Annuaire de l’Allier, 1813, p. 88-90)

Texte d’illustration: remise en état du pont d’Allier à Moulins en prévision du passage des foules se rendant au bourg de Saint-Menoux pour la fête du saint, et recette provenant du droit de passage des ponts (1399-1400)

« Recepte de deniers :
3. De Johannet Teveneaul pour le pontenage des pons d’Alier, à lui adrussez pour trois jours ; c’est assavoir la voelle, le jour et landemain de Saint Menoulx l’an mil quatre cens. 45. s »
« Despens de deniers :
1. Paié à Pierre Gobet pour une journée fecte le samedi sur voelle de Saint Menoulx pour plancher le pont d’Alier. 3. s 4. d.
2. Paié à Guillaume Garon pour une journée fecte le dit jour à plancher le dit pont. 2. s 6. d.
3. Paié à Pierre Roleaul pour une journée faicte le dit jour à plancher le dit pont. 2. s 6. d.
4. Paié à Jehan Bernart pour une journée faicte le dit jour à planchier le dit pont. 2. s 6. d. »
(Compte de Jehan Fillet, 1399-1400 : D. Laurent, Les comptes des receveurs de Moulins, p. 149 et 150)

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[1] A partir du moment où l’abbaye monte en puissance, le bourg devient une sorte de satellite de celle-ci. Selon un idéal plutôt clunisien (à l’opposé de Cîteaux, qui prône une société retranchée du monde), les nonnes ne s’adonnant pas au travail manuel, leur entretien est assuré par d'autres personnes. Leurs domaines sont pour cette raison organisés comme des seigneuries laïques et le bourg prend autour de leurs bâtiments une importance croissante, avec notamment de nombreuses dépendances agricoles. Pour répondre à la fois aux besoins internes de l’abbaye bénédictine et à ceux d’accueil des visiteurs, le commerce se développe également dans le bourg tout autour de l’abbaye. Celle-ci est entourée d’une agglomération aux maisons inspirées par sa propre architecture, notamment au XVe siècle.
[2] Avant la Révolution, en France, toute la semaine qui suivait la Pentecôte, grande fête de l’Eglise, était fériée.
[3] Selon l’expression d'Henri Dubois (Foire, dans Zink 2002).
[4]« A partir du milieu du VIIe s., les rois francs octroient à certains monastères, pour la quiétude des communautés, un privilège d'immunité (emunitas) à valeur perpétuelle et d'un genre nouveau, caractérisé par l'interdiction faite aux agents de la puissance publique (publica judiciaria potestas) de pénétrer sur les terres de l'immuniste pour rendre la justice et en percevoir les profits, exercer des actes de contraintes, lever des taxes, ou bien bénéficier du gîte et de réquisitions. » (Laurent Morelle, Immunité, dans Zink 2002). Elles renforcent l'indépendance des monastères face aux puissances féodales.

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