Thème associé : An Mil et monachisme

L’An Mil 1 est caractérisé par une importante réforme de l’Eglise, un renouveau de la foi et un grand espoir dans l’avenir : un véritable « printemps du monde » se lève, selon le mot de Georges Duby. Les (re)constructions fleurissent un peu partout : c’est le célèbre « blanc manteau d’églises » de Raoul Glaber, si souvent cité par les historiens. C’est aussi l’époque où le monachisme, et notamment le monachisme clunisien, prend un essor extraordinaire. Face à la démission du pouvoir royal et aux exactions d’une féodalité agitée, Cluny2 se pose en puissance fédératrice forte. Dépendant uniquement du pape, elle est capable de s’opposer aux petits intérêts locaux. Cluny est libre et puissante. Elle étend sur l’Europe un extraordinaire réseau d’abbayes, lieux de culture, de pouvoir et de foi. C’est aussi vers l’An Mil qu’est décrétée la « paix de Dieu », permettant aux populations d’échapper un peu à l’arbitraire des conflits armés permanents entre féodaux. L’Eglise espère ainsi lutter contre les « violences répétées que subissent en premier lieu les clercs, les moines, mais aussi les paysans, de la part de l'aristocratie guerrière 3 ».

Texte d’illustration : l’Europe se couvre d’un « blanc manteau » d’églises en l’An Mil

«Comme approchait la troisième année qui suivit l'An Mil, on vit dans presque toute la terre, mais surtout en Italie et en Gaule, rénover les basiliques des églises ; bien que la plupart, fort bien construites, n'en eussent nul besoin, une émulation poussait chaque communauté chrétienne à en avoir une plus somptueuse que celle des autres. C'était comme si le monde lui-même se fût secoué et, dépouillant sa vétusté, eût revêtu de toutes parts une blanche robe d'église». (Raoul Glaber, Histoires, texte tiré de G. Duby, L’An Mil, 1980, p. 169-170).

Texte d’illustration : témoignage sur le culte des reliques et paix de Dieu vers 1030-1050

« C’est alors que, tout d’abord dans les régions de l’Aquitaine, les évêques, les abbés et les autres hommes voués à la sainte religion commencèrent à réunir tout le peuple en des assemblées, auxquelles on apporta de nombreux corps de saints et d’innombrables châsses remplies de saintes reliques. De là, par la province d’Arles, puis celle de Lyon ; et, ainsi par toute la Bourgogne et jusque dans les contrées les plus reculées de la France, il fut annoncé dans tous les diocèses qu’en des lieux déterminés, les prélats et les grands de tout le pays allaient tenir des assemblées pour le rétablissement de la paix et pour l’institution de la sainte foi. Quand la nouvelle de ces assemblées fut connue de toute la population, les grands, les moyens et les petits s’y rendirent pleins de joie, unanimement disposés à exécuter tout ce qui serait prescrit par les pasteurs de l’Église ; une voix venant du ciel et parlant aux hommes sur la terre n’eût pas fait mieux. Car tous étaient sous l’effet de la terreur des calamités de l’époque précédente, et tenaillés par la crainte de se voir arracher dans l’avenir les douceurs de l’abondance.[…] On prit dans ces assemblées beaucoup de décisions que nous voulons rapporter tout au long. […] D’innombrables malades retrouvèrent la santé dans ces réunions, où l’on avait amené tant de saints. Et, pour que nul ne prit cela pour des fantasmes, il arriva à maintes reprises qu’au moment où les bras ou des jambes tordus reprenaient leur rectitude première, on vît la peau se déchirer, les chairs s’ouvrir et le sang couler à flots : ceci afin que fût porté créances aux cas pour lesquels le doute pouvait subsister. L’enthousiasme était si ardent que les assistants tendaient les mains vers Dieu en criant d’une seule voix : « Paix ! Paix ! Paix ! ». Ils voyaient le signe d’un pacte définitif, de la promesse nouée entre eux et Dieu [...]. » (Raoul Glaber, Histoires, texte tiré de G. Duby, L’An Mil, 1980, p. 183-184.)

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(1) La période qui va des années entourant l'An Mil à l'an 1033, c'est-à-dire mille ans après l'Incarnation et la Passion du Christ était vécue comme un temps privilégié de la foi chrétienne. En cette période, signes et prodiges pouvaient certes apparaître, mais il ne s'agissait pas d'une crainte liée à l'imminence de la fin des temps comme on l'a parfois pensé : les peurs de l'An Mil n'existèrent pas. C'est ce qui ressort même des écrits du célèbre Raoul Glaber : il ne croit pas à l'imminence de la fin des temps (voir S. Gouguenheim, Millénarisme, dans Zink 2002).

(2) En 910 (ou 909), Guillaume duc d’Aquitaine fait don d’une villa près de Mâcon pour y fonder un monastère bénédictin placé sous le patronage des apôtres romains Pierre et Paul. Le monastère est placé directement sous la protection de la papauté, ce qui fera la puissance de l’ordre. Emerge ainsi un monachisme indépendant des pouvoirs spirituels et temporels. La liturgie se développe au détriment du travail manuel.
« Au Xe siècle, beaucoup de monastères bénédictins avaient été détruits ou ruinés par les Normands ou les Sarrasins. La vie mondaine avait envahi ceux qui subsistaient. Les moines se mariaient ou menaient joyeuse vie. Le monastère de Cluny est fondé en 909-910 par Bernon, noble bourguignon devenu bénédictin, et suit la stricte règle bénédictine. Il est placé sous l'autorité directe du pape (exemption pontificale) : les évêques de l'époque étant parfois victimes de la féodalité, le seul garant de la liberté des monastères est le pape. Quatre abbés remarquables jouent un rôle important dans l'essor de Cluny : Maïeul (948-994), qui fait construire la deuxième abbatiale ; Odilon (994-1048), qui mène à bien une politique d'expansion de l'ordre ; Hugues de Semur (1049-1109), qui fait construire la troisième abbatiale et reçoit d'Alphonse VI de Castille et León, une rente annuelle. Il joua également un rôle de médiateur à Canossa ; Pierre le Vénérable (1122-1156), qui redresse la discipline de son ordre qui déclinait et fut l'ami ou le correspondant des papes et des rois. Il recueille Abélard à Cluny et soutient des polémiques contre saint Bernard de Clairvaux. Cluny atteint son apogée au XIIe siècle. C'est une immense puissance spirituelle, avec environ 1450 monastères sous son autorité, renfermant 10 000 moines. Une bulle d'Urbain II le 1er novembre 1088 précise et généralise l'exemption pontificale. Cluny suit la règle de saint Benoît, mais insiste sur l'office divin qui occupe presque toute la journée du religieux. Cette primauté accordée à la liturgie entraîne des conséquences importantes : jeûnes et privations ne paraissent pas essentiels, de même, le travail intellectuel ne s'étend guère au-delà des besoins de l'office. Surtout, le travail manuel est réduit ; les moines acceptent d'être entretenus matériellement par d'autres (les moines convers), c'est pourquoi leurs domaines sont organisés comme les seigneuries laïques. Comme rien n'est trop beau pour rendre gloire à Dieu, l'ordre de Cluny accumule les richesses pour élever et entretenir des sanctuaires magnifiques. Cluny voit naître successivement trois abbatiales de plus en plus vastes. La troisième, consacrée en octobre 1096 par le pape Urbain II, est la plus grande église de la chrétienté, et un chef-d'œuvre d'art roman. Enfin, Cluny ne vit pas en dehors du monde. Ses sanctuaires sont des lieux de pèlerinage, ses abbés contribuent à réformer l'Église mais aussi à améliorer la société féodale, notamment en diffusant la «paix de Dieu» et la «trêve de Dieu». Si les moines s'occupent beaucoup de la copie de manuscrits, Cluny n'a eu que peu d'écoles monastiques. Son rôle est surtout d'appuyer la réforme grégorienne. À partir du XIIe siècle, Cluny connaît des difficultés croissantes dues à des abbés médiocres. Mais on lui reproche surtout sa trop grande richesse. La création et le succès de Cîteaux sont dus à cette réaction anticlunisienne. Cet ordre est pionnier dans la création d'ordres et non de monastères indépendants : le pape est au sommet de chacun des ordres monastiques. En 1098 est fondé l'ordre de Cîteaux, qui a le privilège de l'exemption pontificale dès 1100 : tous les monastères de l'ordre sont soustraits à l'autorité de l'évêque du diocèse. » (E. Robin, Les ordres monastiques du XIe et XIIe siècles, www.eleves.ens.fr : page consultée en 2006)

(3) Encyclopédie universelle de la langue française (©) : Abbaye /Le temps des mutations, fin IXe - XIe siècles / Les mouvements de la Paix de Dieu / 1e partie (http://www.encyclopedie-universelle.com/).

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