3 - Les témoins (familles)

Célestine (alias Angeline) Delaurat (Escurolles)

Célestine Salomon est née le 8 décembre 1888 dans la commune de Brugheas, située dans le canton d’Escurolles. Elle est la fille de Marie Balais et de Louis Salomon qui exerce la profession de cultivateur. Le 9 février 1907, à l’âge de 19 ans, elle épouse Félix Delaurat, cultivateur, en la mairie de Brugheas (voir acte de mariage). La famille Delaurat s’agrandit, avec l’arrivée successive de deux filles, d’abord Germaine en 1907 puis Raymonde en 1910.

Durant toute la durée du conflit, elle échange de nombreuses lettres avec son mari, mobilisé en août 1914, puis envoyé au front en mars 1915. Il n’en reste malheureusement que 3 (voir lettres) : il est fréquent de ne pas retrouver la correspondance des femmes, leurs époux ne pouvaient conserver les lettres très longtemps au front. ANgéline évoque surtout les affaires quotidiennes qui l’occupent, notamment la réalisation des travaux agricoles qui lui incombent, aidée en cela par son beau-père et par les autres membres de la famille non mobilisés ; elle décrit aussi les difficultés du quotidien à l’arrière. Elle relate également à son mari la situation militaire en France, puisque ce dernier se trouve sur le front oriental, dans la presqu’île de Gallipoli. Elle fait écho aux préoccupations de son mari (une guerre jugée souvent trop longue) et met en rapport les faits mentionnés dans les journaux avec ceux que peut vivre son mari.

A travers leurs échanges épistolaires, et malgré la distance qui les sépare, les deux époux tentent de maintenir les liens affectifs et familiaux par l’envoi de photographies représentant leurs deux filles, Germaine et Raymonde, de violettes…


Félix Delaurat (Escurolles)

Félix Delaurat exerçait la profession de cultivateur, au lieu-dit les Biscards dans la commune de Brugheas, dans le canton d’Escurolles. Il est mobilisé en août 1914 à l’âge de 33 ans (voir registre marticule).

D’abord envoyé en cantonnement à Clermont Ferrand, il est par la suite, incorporé au régiment d’infanterie de Montbrison dans la Loire en septembre 1914. Son départ au front est daté de février 1915, il est envoyé dans le nord de la Turquie, dans la presqu’île de Gallipoli. Il vit alors les combats dans le détroit des Dardanelles. En tant que brancardier (voir brassard), il est chargé de récupérer les blessés durant les affrontements. Suite à une blessure, il est rapatrié en octobre 1915 et envoyé dans un hôpital militaire temporaire du département du Var. Félix Delaurat est de nouveau envoyé au front, en novembre 1915, cette fois ci dans la Meuse. Il participe alors à la bataille de Verdun.

Durant ces années de conflit, il écrit à sa femme Angéline, plus de 350 lettres (voir lettres 1914, et leur analyse, lettres 1915 et leur analyse, lettres 1916 et leur analyse, lettres 1917-1918 et leur analyse). Il lui décrit ainsi sa situation durant son cantonnement, puis son envoi au front, les combats sanglants contre les Allemands et leurs alliés, les conditions de vie dans lesquelles lui et ses camarades vivent dans les tranchées (« toujours mouillé », « de la boue jusqu’au ventre », « manger par les poux »)…

Dans un style caractérisé par un certain franc parler et malgré la censure qui sévit durant cette période, Félix Delaurat n’hésite pas à dévoiler au fil de sa correspondance ses préoccupations et ses sentiments face à une guerre qu’il juge souvent trop longue et parfois même inutile.

Il termine la guerre en tant que prisonnier du 25 avril 1918 au 13 janvier 1919 (voir carnet de captivité).


Albert Melin (Montluçon)

Albert Melin (voir photo) est né le 9 novembre 1878 à Chantelle dans l’Allier. Il est le fils d’Augustin et de Célestine Melin, agriculteurs. Devenu instituteur titulaire en 1902, il enseigne d’abord à Commentry, puis est nommé à Montluçon à titre définitif en 1908.

Mobilisé le 2 août 1914 à l’âge de 36 ans, il est affecté au 98e régiment d’infanterie territoriale avec le grade d'adjudant (voir registre matricule). Le 14 août 1914, il quitte Montluçon pour rejoindre la région de Soissons. Il passe sa première nuit dans les tranchées en décembre 1914, mais à partir du printemps 1915, sa situation évolue : il quitte les premières lignes et devient officier payeur avec le grade de sous-lieutenant. Démobilisé le 23 janvier 1919 ; il aura passé quatre ans, cinq mois et dix-neuf jours loin de sa famille.

Sa correspondance représente un volume exceptionnel de plusieurs centaines de lettres et couvre toute la durée du conflit (voir correspondance) . Elle s’accompagne d’une série de photographies prises dans la région du front (voir photos).

Parmi toutes ces lettres, certaines portent le tampon du contrôle postal (voir): la censure est de rigueur ! D’autres enveloppes servent, elles, de support de propagande pour les emprunts de la Défense Nationale auxquels la population est incitée à souscrire pour financer l’effort de guerre (voir).


Noémie Melin (Fourilles)

Noémie Melin (voir photo) est née le 10 octobre 1886 à Fourilles. Elle est la fille de Louise-Marie Allier et de Pierre Grobost qui exerce la profession de cultivateur. Le premier décembre 1908, à l’âge de vingt-deux ans, elle épouse Albert Melin, instituteur à Montluçon. Le 13 octobre 1913, la famille Melin s'agrandit avec la naissance d’André (voir photo).

Noémie Melin n’exerce pas de profession particulière. Avec la guerre, elle quitte Montluçon pour s’installer à Thizon, près de Fourilles. Ses lettres témoignent de la représentation du conflit à l’arrière, de la manière dont les populations civiles sont mobilisées et contribuent elles aussi à la guerre totale. Ses écrits montrent également l’évolution de l’opinion face à la durée de la guerre ou la représentation des ennemis, parfois dépeints comme des « maudits boches » (voir lettre du 19 janvier 1915). Si les informations fournies par les journaux sont parfois mises en doute (voir lettre du 3 mai 1915), Noémie ne remet jamais en cause les dirigeants politiques ou militaires et le bien-fondé de la guerre. Elle décrit également avec minutie les premiers pas et les moindres faits et gestes du petit André qui grandit loin de son père pendant ces longues années de guerre (voir fin de la lettre du 11 juin 1915).


Jeanne Vernay (Chantelle) voir photo

Jeanne Vernay est née à Chantelle (Allier, 03) le 13 octobre 1872. En 1983, elle épouse Romain Vernay. De cette union nait Jean Vernay, le 7 juillet 1894. La famille Vernay vit entre Versailles et Alger. En 1914, Jeanne rentre en France et séjourne à Chantelle (où réside sa famille).

Lorsque la guerre éclate, Jeanne se trouve seule, loin de son mari resté à Alger, et séparée de son fils Jean, tout jeune Saint-cyrien parti au front. Jeanne commence alors une correspondance régulière et soutenue avec son époux. (voir lettres) Elle y exprime, avec beaucoup de lyrisme parfois, sa solitude d’épouse, son amour et son angoisse de mère. En recopiant les lettres qu’elle reçoit de son fils dans celles qu’elle adresse à son mari, Jeanne maintient le lien familial entre le père et le fils. Elle retranscrit les nouvelles qu’elle peut lire dans les journaux locaux. Ses premières lettres donnent la vision des Allemands telle qu’elle est alors véhiculée par la propagande au moment de l’entrée en guerre : « Ils martyrisent les enfants, les Alsaciens et partout où ils passent Attila et les Huns ne faisaient pas autant de mal qu'eux ». (voir lettre du 24 juillet 1914). Romain, militaire encore en fonction à Alger eu début de la guerre, exhorte sa femme à la patience et essaie de la rassurer : « il faut être résigné et attendre patiemment […]les Allemands ont l’univers entier contre eux » (voir lettre du 19 août 1914).

Les écrits de Jeanne témoignent avant tout de sa piété, par exemple : « au dessus il y a Dieu, qui je ne puis croire qu'il abandonnera notre pays, où il y a tant de foi réveillée ! Que le sacré coeur de Jésus, la Vierge notre Mère et Jeanne d'Arc nous conduisent et nous gardent, nous crions vers eux nos supplications » (voir lettre du 4 septembre 1914). Le quotidien de Jeanne est rythmé par de nombreux actes de dévotion : « Mes journées se passent presque continuellement en prières, chaque matin à la messe" […] "je fais mon chemin de croix tous les jours soit au couvent soit à la paroisse" "Le soir il y a après le dîner des prières publiques » (voir lettre du 10 août 1914). Elle participe également à Chantelle aux actions organisées pour recevoir les premiers blessés rapatriés du front : « A Chantelle on a voulu contribuer à envoyer quelque secours en linge pour les blessés [...] c'est à la maison que nous nous sommes occupés de faire des panières de linge, tout le monde dans notre petit pays s'est donné en quelques heures il y en a 5 grandes panières et d'autres caisses sont en préparation […] J'espère que nos envois arriveront la bas à destination ces dames de la Croix Rouge en feront l'usage qu'elles en jugeront ». (voir lettre du 6 août 1914)


Jean Vernay (Chantelle) voir photos

Jean Vernay est né à Chantelle le 7 juillet 1894. Il est le fils de Jeanne Paradis, épouse Vernay et de Romain Vernay, lieutenant au premier Régiment du Génie de Versailles. En 1914, à tout juste 20 ans, il sort de l’Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr avec le grade de sous-lieutenant. (voir registre matricule)

Au fil de sa correspondance avec ses parents du 27 juillet au 1er novembre1914 (voir correspondance de 1914), son ton évolue vis-à-vis de la guerre. Au début, même s’il tient déjà à se démarquer de « certains grands braillards et écervelés qui ne demandent que la guerre » (voir lettre du 27 juillet 1914). Il montre un enthousiasme naïf comme la majorité des jeunes mobilisés : « Cette fois ça y est, nous allons les voir les casques à pointe et j’espère bientôt voir le clocher de Strasbourg » (voir lettre du 2 août 1914).

Pour rassurer sa mère, il lui décrit son quotidien (voir dessin de sa tranchée). Un ami de tranchées lui laisse également quelques gravures (voir gravures Jean Droit). Il exprime parfois une certaine nostalgie en évoquant ses souvenirs d’Alger où il vécut avec ses parents (voir lettre du 5 septembre 1914). Ses lettres témoignent également de sa piété (voir lettres du 31 août et du 13 septembre 1914). Dès qu’il le peut, Jean assiste à la messe. Deux mois après le début du conflit, il se voit confier le commandement de sa compagnie (voir lettre du 28 septembre 1914).

Bien qu’étant au début de sa carrière militaire, il n’hésite pourtant pas à exprimer une certaine amertume et ses désillusions sur l’armée. Ainsi dans sa lettre du 20 octobre 1914, il écrit « Que d'officiers doivent être dans toute la France qui auront avancement et décoration, sans avoir été au feu et nous, depuis 2 mois et demi nous sommes en 1ère ligne ».

4 jours plus tard il insiste dans une lettre à son père : « Tu sais ce que je pense de ces attaques qui sont de véritables folies et n'ont comme résultat que des hécatombes d'hommes et rien de plus.(…). Je veux seulement dire qu'il est faux de répéter dans les journaux que les troupes sont pleines d'enthousiasme. Tout le monde en a assez et les soldats marchent parce qu'on les y oblige ». (voir lettres du 20 et 28 octobre 1914)

Le 24 juillet 1915, il est destitué par le conseil de guerre car jugé « coupable du délit de ne pas s’être rendu à son poste d’alerte ». Il vécut cela comme une profonde injustice et eut à cœur de se justifier. Il fut réhabilité par la Cour de Cassation le 7 décembre 1917. (voir documents)

Il fut cité à l’ordre de son régiment le 29 octobre 1917 pour être « allé chercher sous un violent tir d’engagement un de ses hommes grièvement blessé » (voir citation).

La fin de la guerre tant attendue encore la veille de l’armistice: « Je suis sûr que vous êtes dans l'attente de l'armistice. Nous l'attendons d'heure en heure par TSF », est évidemment saluée par Jean le 11 novembre 1918: « Ce matin les sergents des TSF ont envahi notre chambre avant le réveil avec force cris et hurlements. Nous avons vite compris ce que ça signifiait. Nous voici enfin au terme du cauchemar » (voir lettres des 8 au 11 novembre 1918)

Partager sur