10 - Entre humanisme et dérives médicales : Henry Meige, docteur bourbonnais
Henry Meige né le 11 février 1866 à Moulins et mort le 29 septembre 1940, est un neurologue, élève puis collaborateur du célèbre Dr Charcot[1].
Il a exercé à l’hôpital parisien de la Salpétrière.
C’est un médecin de son temps : pétri de valeurs humanistes mais fasciné par les progrès techniques de ce début de siècle... aux risques de trahir le principal intéressé : le patient.
[1] Henry Meige a donné son nom à une forme de trouble moteur se manifestant par des clignements d’yeux involontaires et des spasmes au cou et à la machoire: c’est le syndrome de Meige.
L'effort de guerre familial
Ce 11 février 1915, Henry Meige explique l’effort de guerre familial :
«La guerre ele-même, a resséré, si possible notre intimité. En supprimant un certain nombre d'occupations sociales, elle a rendu plus étroit le foyer familial.
En créant des devoirs nouveaux,
elle a marié nos efforts communs pour l'adoucissement des misères de l'heure.
Le travail de chacun de nous est orienté vers un même but ;
si je dessine des plexus ou si je construis des excitateurs électriques,
si ma femme fabrique des chemises,
si ma fille tricote des chaussettes,
toutes ces occupations disparates ont cependant une destination unique :
venir en aide aux blessés de la guerre.
La même idée directrice préside à tous nos actes, la même pensée nous hante à tous les instants.
De là une union plus étroite-l'Union sacrée!-bienfait merveileux né d'un affreux malheur.
Et n'est ce pas la preuve de plus qu'on s'approche davantage du bonheur
en cherchant à faire le bonheur d'autrui qu'en le recherchant soi-même"
L'effort de guerre hospitalier
Le 10 juin 1915, dans une lettre adressée à son ami Meunier, il décrit un peu son travail à la Salpétrière :
« La vie ici est de plus en plus active : blessés, prisonniers, jardin et soins ruraux.
On ne connaît plus le repos ; mais aussi le moral reste d'acier comme les muscles.
Nous avons deux salles de plus à la Salpétrière, d’où surcroît d’examens, d’observations, de traitements, - et aussi de vêtements à ravauder.
Les prisonniers atteignent la trentaine.On envoie 10 colis par semaine de Champignolle (pain, vivres, vêtements), et du Berry et du Bourbonnais d'autres colis partent encore.
Les femmes sont admirables. Leurs légumes, leurs fraises, -et leurs roses- prennent deux fois par semaine le chemin de la Salpétrière et font la joie des « nerfs »e. aux « moelles », plus sérieusement atteintes, on réserve les œufs frais.
Or, tout cela ne se fait pas sans un gros labeur manuel, j’admire la persévérance et la résistance féminine.
Il est vrai que j'ai trouvé deux jardiniers. Ils viennent le dimanche pour les travaux d'art. Ils travaillent assez proprement quoique avec une certaine lenteur.Ce sont deux membres de l'Académie de médecine, un professeur à la Faculté et un professeur à l'Institut Pasteur, Pierre MARIE et DELEZENNE! Il faut les voir en bras de chemises, arrachant les mauvaises herbes et taillant et fusains!
Et l'on dit que l'agriculture manquera de bras cette année. On oublie trop de s'adresser aux société savantes.
Pour moi, quand je ne fauche plus, je fabrique des appareils pour les « radiaux », des communications aux diverses Sociétés pour les uns ou les autres, et un numéro de la Revue Neurologique, pour embêter les Boches. On fait ce qu‘on peut. »
Quand la fin justifie (tous) les moyens
En tant que neurologue, le Dr Henry Meige s'est intéressé tout au long du conflit aux troubles post-traumatiques ou post commotionnels tels qu'ils étaient alors qualifiés.
Il a ainsi écrit dans la Revue de neurologie des articles sur certains symptômes caractéristiques des traumatismes psychologiques.
Il a ainsi étudié les crispations des membres et en particulier de la main avec le syndrôme de la "main d'accoucheur" (voir son article de mars 1916). Il a également commis des études assez détaillée des différentes sorte de tremblements, notamment celui des hommes atteints de camptocormie, littéralement pliés en deux (voir un article en février 1916 et un autre article de 1918).
Toutefois, ce qui aujourd'hui semble le plus dérangeant, c'est le soutien apporté à son confrère, le Dr Clovis VINCENT, chantre du "torpillage" (en référence à l’expression d’un malade passé entre les mains du Dr Vincent : «ça vous retourne comme une torpille». H.Meige pense que le malade doit se soumettre à son médecin qui peut alors utiliser tous les moyens qu’il estime nécessaire pour venir à bout du mal. Voici un extrait de son intervention dans la Revue neurologique de juillet 1916, volume 2 (lien permanent) :
« Nous avons tous pu nous rendre compte que pour agir utilement sur les troubles hystériques, il était nécessaire d’employer des procédés thérapeutiques basés sur ce qu’on peut appeler la révulsion mentale. Et celle-ci, pour être efficace, doit être rapide, énergique, poussée jusqu’à la disparition complète du trouble névropathique qu’il s’agit de déraciner.
Peu importe le procédé, ce qu’il faut savoir, c’est que le succès dépend de la volonté et de la ténacité du médecin. Celui-ci doit d’emblée se montrer plus fort que le mal. Le moindre signe de faiblesse compromettrait la cure. Et il est essentiel de « tenir » jusqu’au bout : la guérison est à ce prix.
Dans cette sorte de lutte mentale, le patient oppose une résistance plus ou moins grande, selon son tempérament. Mais il est rare qu’il ne finisse pas par céder.
Sa défense même représente un syndrome clinique, constitué par un ensemble de manifestations émotives de toutes sortes, toujours pareilles : rougeur du visage, sueur abondante, sécheresse de la gorge, pleurs, cris, mimique et gestes dramatiques, dont l’outrance même est un des meilleurs critères des phénomènes hystériques.
Enfin quand le patient s’avoue vaincu- c’est-à-dire guéri- l’explosion de sa reconnaissance est un nouveau signe confirmatif de la nature de son mal.
J’ai maintes fois constaté la succession de ces phénomènes dans les cas de surdi-mutité hystérique, dont la guérison s’obtient en quelques minutes, - même si le mutisme dure depuis plusieurs mois, - au moyen d’une électrisation discrète de la face, accompagnée surtout d’une persuasion décidée et tenace.
De tels sujets ne doivent assurément pas être qualifiés de simulateurs. Ce sont bel et bien des malades ; leur mal est avant tout psychique, et il n’est pas acquis mais constitutionnel.
La maladie réside toute entière dans cet état mental de l’hystérique où dominent une suggestibilité démesurée, une imagination sans contrôle, et cette tendance mytomaniaque si bien décrite par E. Dupré, qui semble commandée par la vanité et la perversité. Il s’y ajoute de la puérilité (…)
Les hystériques, hommes ou femmes sont de grands enfants, de l’espèce des enfants terribles. Et les hystériques hommes, fussent-ils taillés en athlètes, - ce qui est assez fréquent- doivent être traités comme des enfants indisciplinés (…)
A l’hystérique qui comme l’enfant, se complait surtout dans le jeu de son imagination, il faut une pathologie simpliste et théâtrale. Il ne connaît des maladies que les gros symptômes : la boiterie, la paralysie, la perte de la vue ou de la parole. Il les réalise grossièrement et, pour apitoyer autrui il en exagère volontiers les caractères. Si bien que ces pathomimies sont de véritables caricatures cliniques. Dans ce manque de mesure apparaît encore l’enfantillage de l’esprit»
Source :Revue neurologique, juillet 1916, volume 2. Site internet BIU Sante. Direction de la Bibliothèque interuniversitaire de Santé, Paris. Cote : 130135. Licence ouverte.
Adresse permanente : http://www.biusante.parisdescartes.fr/histmed/medica/cote?130135x1916x02
Sélection de pages : 108 à 111
Le torpillage : quand le soin devient torture
Le torpillage était un traitement pour le moins radical pratiqué par le docteur Clovis VINCENT (1879-1947), neurologue.
Cela consistait à infliger au patient, des chocs électriques. Cette méthode était en particulier utilisée pour redresser les hommes « plicaturés », c’est-à-dire courbés à angle droit. Nombre de soldats se sont ainsi retrouvés bloqués dans cette position après un choc traumatique subi sur le front, en général lors de violents bombardements.
L’un des patients du Dr Vincent, Baptiste Deschamps refusa fermement d’être ainsi soigné. Vincent l’ayant frappé, le zouave se défendit et un procès retentissant eut lieu en 1916. Le médecin fut désavoué. Il cessa son activité hospitalière pour retourner au front.
Source : David Doughty
http://www.ddoughty.com/apps/search?q=shell+shock
Repris par le journal Le Monde dans l'article Contre "l'obusite", le "torpillage"
http://aetdebesancon.blog.lemonde.fr/2016/10/21/contre-lobusite-le-torpillage/